Fin août 2024, la Cour suprême brésilienne a interdit X dans le pays, citant l’absence de représentation locale et des préoccupations concernant la modération des contenus. Cette décision a laissé un vide que Bluesky a rapidement comblé. En seulement quelques jours, Bluesky a enregistré des millions de nouveaux utilisateurs brésiliens, propulsant l’application au sommet des classements de téléchargement sur l’App Store ; un million de nouveaux utilisateurs en seulement trois jours, un million supplémentaire un jour plus tard et, depuis hier, la plateforme compte 10 millions d'utilisateurs.
À l'approche de l'interdiction, le Président brésilien Luiz Inácio Lula da Silva a apparemment fait ses adieux à ses adeptes de X en créant un lien vers ses autres comptes de médias sociaux, à commencer par Bluesky. L'augmentation rapide du nombre d'utilisateurs a conduit certains d'entre eux à rencontrer une erreur « Ressources insuffisantes » alors que les ingénieurs de la plateforme s'efforçaient d'augmenter la capacité des serveurs pour répondre à la demande accrue.
La stratégie de Bluesky
Bluesky a su tirer parti de cette opportunité en offrant une alternative attrayante et en mettant en avant ses fonctionnalités de décentralisation et de confidentialité. Le réseau social a également bénéficié de la réputation de son fondateur, Jack Dorsey, qui a su capitaliser sur la méfiance croissante envers les grandes plateformes centralisées. L'objectif maintenant pour Bluesky sera de convaincre les nouveaux utilisateurs d'être actifs et fidèles à l'application. Pour cela, plusieurs fonctionnalités arrivent, comme les notes de communauté sur les posts polémiques ou propageant de fausses informations ou encore l'impossibilité d'invisibiliser certaines réponses à un post.
Voici des éléments qui ont joué en sa faveur :
L'interface utilisateur
L'un des principaux facteurs qui poussent les Brésiliens à préférer Bluesky à Threads de Meta pourrait être son interface, qui ressemble beaucoup à X (anciennement Twitter). La familiarité de la mise en page et de la chronologie permet aux anciens utilisateurs de X de s’adapter rapidement sans avoir à réapprendre à naviguer sur une nouvelle plateforme.
La structure
Bluesky se distingue par sa structure décentralisée, ce qui le rend plus résistant aux fermetures ou aux contrôles motivés par des considérations politiques. Contrairement à X, où la modération du contenu est centralisée, Bluesky permet aux utilisateurs de gérer eux-mêmes le contenu qu’ils voient. Cette autonomie accrue est particulièrement attrayante dans un contexte où les décisions politiques peuvent influencer l’accès aux plateformes sociales.
En clair, une différence importante entre Bluesky et X est que Bluesky s'appuie sur les utilisateurs pour gérer le contenu, tandis que X s'occupe lui-même de la modération du contenu.
Aussi, sur X, c'est l'algorithme de recommandation qui gouverne, alors que sur Bluesky, les utilisateurs peuvent davantage personnaliser leur fil d'actualités. Dans sa dernière version, Bluesky a intégré de nombreuses fonctionnalités visant à éviter les propos toxiques et le cyberharcèlement, comme la possibilité de cacher une réponse à un post à tous les utilisateurs. Des choix éditoriaux qui vont donc à l'opposé de ceux d'Elon Musk pour X, qui défend une liberté d'expression totale, quitte à tolérer la désinformation et la haine.
Et pour ceux qui peuvent être dépaysés, nombreux sont les utilisateurs qui partagent des « starters packs », des liens permettant de suivre des comptes en « package », liés à un thème ou un domaine particulier (scientifiques américains, journalistes brésiliens...).
Elon Musk et la déchéance de X
Pendant ce temps, Elon Musk a été critiqué pour ses décisions controversées concernant X. Depuis son acquisition de la plateforme, Musk a mis en œuvre une série de changements qui ont aliéné de nombreux utilisateurs et annonceurs. Des modifications de la politique de modération aux décisions de gestion perçues comme erratiques, ces actions ont contribué à une baisse significative de l’engagement sur la plateforme.
Elon Musk a tenté un coup insolite : après avoir littéralement demandé aux annonceurs d'aller « se faire foutre », il a décidé de leur porter plainte.
Le milliardaire entend bien faire payer toute personne ou organisation qui a été impliquée d'une manière ou d'une autre dans le boycott de la publicité sur son réseau social X (ex-Twitter). Il est convaincu que la gauche conspire contre lui, a poursuivi les annonceurs qui refusent de lui donner de l'argent et exhorté les États américains à engager des poursuites pénales contre les personnes prétendument impliquées dans le boycott de la publicité sur X. Sa déclaration est intervenue après un rapport accablant du Congrès américain contre une importante alliance d'annonceurs.
En effet, le Congrès américain enquête sur des allégations selon lesquelles les membres de l'Alliance mondiale pour des médias responsables (Global Alliance for Responsible Media - GARM) s'entendent pour bloquer les dépenses publicitaires des médias conservateurs et donc pour censurer leurs voix. Témoignant devant le Congrès, le journaliste américain Ben Shapiro a déclaré que les sociétés de médias sociaux telles que X, Google et Meta avaient été contraintes par la sénatrice Dianne Feinstein d'adopter les lignes directrices de la GARM. Cette soi-disant coercition se serait produite en 2017. Il a ensuite comparé la GARM à un « cartel ».
Envoyé par Ben Shapiro
GARM a fermé ses portes 48 heures après la poursuite en justice, évoquant un manque de moyens financiers pour faire face aux allégations.No small group should be able to monopolize what gets monetized. This is an important acknowledgement and a necessary step in the right direction. I am hopeful that it means ecosystem-wide reform is coming. https://t.co/BlHqHqZEyp
— Linda Yaccarino (@lindayaX) August 8, 2024
Mais la stratégie de X n'a peut-être pas eu l'effet escompté : plutôt que d'effrayer les marques pour qu'elles se soumettent, les patrons de l'industrie des médias ont déclaré que cette décision (qui a été décrite comme « égoïste » et « insensée ») ne ferait que pousser les marques déjà désillusionnées à s'éloigner encore plus du site, qui dépend des dépenses publicitaires.
Alex Tait, fondateur de l'agence média et marketing Entropy, et qui a précédemment dirigé la stratégie de dépenses publicitaires d'Unilever, a déclaré : « L'action en justice de Musk est probablement motivée par son ego plutôt que par une logique commerciale ».
« Le concept selon lequel X est similaire à une "place publique" est motivé par une vision centrée sur les États-Unis du premier amendement, qui ne s'applique pas à d'autres pays. [Elle est en contradiction avec ce que les annonceurs appellent la "sécurité de la marque", qui consiste essentiellement à s'assurer que leur publicité n'apparaît pas à côté d'un contenu qui n'est pas approprié pour leur marque] ».
Bluesky reste en revanche peu armée pour capter les parts de marché publicitaire que X continue de perdre
Malgré ses nombreux avantages, Bluesky devra relever plusieurs défis pour maintenir sa croissance et sa popularité. La gestion de la modération du contenu dans un environnement décentralisé peut s’avérer complexe, nécessitant des outils et des politiques efficaces pour prévenir les abus et les comportements nuisibles. De plus, la plateforme devra continuer à innover et à s’adapter aux besoins changeants des utilisateurs pour rester compétitive face à d’autres alternatives émergentes.
En outre, Bluesky, qui a levé 8 millions de dollars en juillet 2023, veut se distinguer du modèle tout publicitaire des autres plateformes sociales. Dotée d'un statut de « benefit corporation » (entreprise à mission), la société se refuse à commercialiser les données personnelles de ses utilisateurs. Elle a pour objectif de développer « un réseau social durable ».
Elle se prive donc du marché de la publicité via lequel elle aurait pu capitaliser l'exode massif de X qui, de son côté, continue de perdre des annonceurs.
Pour générer ses revenus, Bluesky mise sur la vente de noms de domaine (rattachés à un nom d'utilisateur), ce qui par ailleurs pourrait intéresser des marques. L'organisation compte développer par la suite d'autres services payants. « Nous allons expérimenter différents services et stratégies », avait-elle annoncé en juillet 2023.
Conclusion
La montée en puissance de Bluesky au Brésil est un exemple frappant de la manière dont les dynamiques des réseaux sociaux peuvent changer rapidement. Alors que X lutte pour regagner la confiance de ses utilisateurs, Bluesky semble bien positionné pour devenir un acteur majeur dans le paysage des réseaux sociaux. Seul le temps dira si cette tendance se maintiendra.
Source : Bluesky
Et vous ?
Pensez-vous que la montée en puissance de Bluesky est durable ou s’agit-il d’un phénomène temporaire ?
Comment percevez-vous les actions d’Elon Musk concernant X ? Sont-elles justifiées ou contre-productives ?
Quels sont les critères les plus importants pour vous dans le choix d’un réseau social ? Qu’est-ce qui vous inciterait à quitter un réseau social pour un autre ? La sécurité, la confidentialité, les fonctionnalités, ou autre chose ?
Pensez-vous que la décentralisation des réseaux sociaux, comme proposée par Bluesky, est une solution viable pour garantir la liberté d’expression et la confidentialité des utilisateurs ?
Comment évaluez-vous l’impact des politiques de modération sur la qualité des discussions en ligne ? Préférez-vous une modération stricte ou plus permissive ?
Dans quelle mesure pensez-vous que les actions et les décisions des personnalités publiques, comme Elon Musk, influencent votre perception et votre utilisation des réseaux sociaux ?